Le château de Maillé en Plounevez-Lochrist

Par Jean-Yves LE GOFF

Musée du Léon (Lesneven)

 

La seigneurie connue actuellement sous le nom de Maillé était la plus importante de la soixantaine que renfermait la vaste commune de Plounevez-Lochrist. Dénommée anciennement Coatseizploué, son ressort couvrait effectivement les sept paroisses de Plounevez-Lochrist, Lanhouarneau, Saint-Vougay, Plouzévédé, Trézilidé, Cléder et Sibiril. De temps immémorial, cette seigneurie était possédée par la famille de Kermavan, qui avait pour berceau le château du même nom en la commune de Kernilis.

 

La famille de Kermavan

Un vieil adage breton classe ainsi les quatre principales familles léonardes : antiquité de Penhoat, richesse de Kerman, vaillance de du Chastel, chevalerie de Kergournadech.

Cette famille blasonnait « d’azur au lion d’or », et l’on peut rapprocher ces armes de celles des vicomtes de Léon : « d’or au lion de sable », et, à la suite des recherches de notre ami Guy Ducelier sur les manoirs de Plounevez-Lochrist et des travaux de Patrick Kernevez sur la famille des vicomtes de Léon, on peut supposer que les Kermavan seraient issus de cadets des vicomtes du Léon, même si aucune preuve ne peut étayer cette supposition, qui est donc à prendre avec toutes les précautions possibles. Guyomarc’h IV meurt en 1179. Son fils Guyomartc’h V lui succède à la tête de la vicomté et meurt en 1210. Son troisième fils, Alain, est attesté dans une charte de 1228, et il est peut-être cet Alain de Kermavan qui est inhumé en 1264 dans l’église de Plounevez-Lochrist. On peut encore voir sa belle pierre tombale à effigie et épitaphe, armoriée de ses armes, dans la chapelle de Lochrist. (photo 19)

Le château de Coatseizploué, à cette époque, consistait en une antique motte castrale encore visible à 500 mètres au Sud-Ouest du manoir actuel, haute de 5 à 7,5 mètres, cernée de larges douves et surmontée d’une plate-forme de 22 mètres sur 18, dans une basse-cour elle-même cernée de douves. (photo 6)

« Herveus de Caermaugan, écuyer » est cité dans un acte de 1273, et sa fille unique Béatrix de Kermavan épouse François de Léon, sire de Lesquelen en Plabennec, dont les enfants relèvent le nom de Kermavan et écartelant leurs armes, au 1 et 4, du blason des Lesquelen : « d’azur à la tour d’or portée par une roue de même ».

La puissance et la richesse des Kermavan s’accroîssent toujours, et Tanguy, sire de Kermavan est capitaine de Lesneven en 1372-1395. A ce titre, il est l’un des signataires du traité de Guérande en 1381, mettant fin à la guerre de Succession de Bretagne. Il avait épousé vers 1360 Marguerite, dame héritière de Pennaneach en Plouénan, et c’est probablement lui qui, quittant l’inconfortable motte castrale, commence la construction du manoir gothique à 250 mètres environ au nord de la motte.

Ce manoir gothique du XIVe siècle est actuellement masqué par le château actuel. La porte d’origine est toujours en place et donne accès à la salle basse médiévale, avec sa grande cheminée et une ancienne fenêtre quadrilobée aujourd’hui condamnée mais encore visible dans une sorte de niche dans le mur extérieur. A gauche se trouve la cage de l’escalier à vis, en pierre ou en bois, aujourd’hui transformée en vestibule, puis la cuisine équipée d’une profonde cheminée. A droite de la salle basse, la troisième salle a été transformée par l’insertion d’un escalier. Ce plan à trois salles se répète à l’étage. La chambre seigneuriale se trouve, classiquement, au-dessus de la cuisine. La salle haute est placée au-dessus de la salle basse. Cette salle haute était pourvue d’une magnifique charpente apparente, encore en place dans le grenier actuel. Toute cette charpente est moulurée et peinte de feuilles de chêne et sur les pannes se voient des fleurs rouges sur fond noir. Cet ensemble peut être daté de la fin du XIV° siècle.

La notoriété de la famille continue à augmenter et leur petit-fils Tanguy, sire de Kermavan, est capitaine de Brest en 1423-1425, et chambellan du duc Jean V en 1425. Il avait épousé Aliette de Quelen, dame du Vieux Chastel, et il déclare à la Réformation de 1443 deux métayers « en son manoir de Coetseizploë qui est noble et ancien manoir, et est le dit sire presque seigneur universel de toute la paroisse ». Leur fils Tanguy du Kermavan, à son tour chambellan du duc en 1461, est tué à la bataille du Saint-Aubin du Cormier en 1488.

Mais le sort s’acharnera sur la famille dont plusieurs membres meurent sans héritier, et Françoise de Kermavan apporte vers 1520 le domaine aux Ploesquellec en s’alliant avec Jean de Ploesquellec, seigneur de Bruillac en Plounérin. Une véritable révolution dans l’architecture du château viendra de leur fils Maurice de Ploesquellec, alias Maurice de .Kermavan, qui épouse en 1541 Jeanne de Goulaine.

 

Le château Renaissance

En s’alliant avec un membre de l’un des plus grands lignages bretons des environs de Nantes, Maurice de Kermavan/Ploesquellec vat introduire dans le Léon la nouvelle architecture inspirée des châteaux de la vallée de la Loire. Vers 1560, en effet, Maurice de Kerman et Jeanne de Goulaine vont agrandir leur manoir. A l’extrémité ouest du manoir du XVe siècle, ils vont construire un nouveau bâtiment inspiré de la Renaissance. Et ce sera une grande première pour l’évêché de Léon.

Bien entendu, contrairement à ce que l’on a souvent dit, la Bretagne n’a jamais été à l’écart de l’évolution des idées. D’innombrables voyageurs abordaient dans nos ports, et des marchands venant de toute l’Europe fréquentaient les foires bretonnes comme celle de La Martyre. Enfin les jeunes nobles bretons partaient volontiers étudier dans les Universités de France et d’Europe, comme Maurice de Parcevaux, fils du seigneur de Mézarnou (Plounéventer), qui reçoit vers 1510 le bonnet de docteur de l’Université de Bologne en Italie, et qui revient dans le manoir paternel avec, dans ses bagages, une superbe Vierge à l’Enfant en bois polychrome (dont la ruine émouvante est conservée au Musée du Léon à Lesneven).

Mais c‘est probablement la première fois que ce style nouveau est employé aussi massivement dans un bâtiment. L’escalier à vis traditionnellement placé dans une tourelle à l’angle des bâtiments, est abandonné au profit d’un escalier à volées droites, plus majestueux et plus confortable à emprunter. La tourelle d’angle est cependant conservée et devient un pavillon, superbement décoré dans le style de la Renaissance, déployant sur deux faces un décor classique avec trois étages superposés selon les trois ordres, dorique, ionique et corinthien. Ce pavillon reste, de l’avis d’Henri Waquet, « l’œuvre la plus soignée de l’architecture civile de la Renaissance dans toute la Basse-Bretagne ». On accède à la salle sommitale du pavillon d’angle par un superbe escalier à vis à limon hélicoïdal tournant autour d’un vide central. Ce genre d’escalier est très à la mode aux environs de 1500, et Jeanne de Goulaine a probablement rapporté ce souvenir du château de Haute-Goulaine où l’on trouve deux escaliers identiques.

Avec cette construction, la façade Ouest du manoir, donnant sur le jardin, est fortement marquée par la travée double de l’escalier monumental qui domine toute la composition des étages. Un dessin de Cassas, vers 1776, la restitue bien. (photo 2) Ce pavillon central était encadré par deux ailes perpendiculaires aujourd’hui disparues. Dès 1775 le recteur de Plounevez-Lochrist signale à son évêque qu’« on a commencé à détruire une aile » (sans doute celle de droite, contenant la chapelle d’après un acte de vente en 1747), et que « l’autre n’est pas mieux entretenue ». Sur le dessin de Cassas, une travée à droite a été reconstruite tandis que l’aile gauche n’a plus de toiture. Sur ce qui reste de la façade, « les lignes verticales des travées sont légèrement atténuées par les bandeaux qui soulignent les étages et par les bossages continus du soubassement. Les fenêtres à frontons saillants et entablements sont très proches de celles du château d’Anet bâti, entre 1547 et 1552 par Philibert de L’Orme. Les soupiraux ovales qui éclairent les caves voûtées en grand appareil peuvent également inspirés du premier livre sur l’architecture de De L’Orme paru en 1567. » (Christel Douard)

Au XVIII° siècle, la façade du vieux manoir gothique est « rhabillée » et percée d’ouvertures régulières. On reconnaît une partie de ces fenêtres de la façade sur le dessin de Cassas. La chapelle ayant disparu dans les démolitions de la fin du XVIII° siècle, un nouvel oratoire a été aménagé au XIX° siècle dans une remise.

Devant le château enfin s’étend une vaste esplanade, fermée au sud par des douves maçonnées en grand appareil, douves sèches purement décoratives, encadrées à leurs extrémités est et ouest par des pavillons.

« Au milieu du XVII° siècle, poursuit Christel Douard, les Maillé font appel à des décorateurs anonymes qui exécutent un ensemble de peintures murales exceptionnel et rare en Bretagne. » Plusieurs artistes, probablement, ornent diverses salles du château. Et, selon les peintres qui ont restauré les fresques en 2014/2015, il s’agirait de peintures italiennes. L’ancienne tourelle d’escalier du manoir gothique, devenue un hall de passage, reçoit un décor fait de deux scènes de la vie de Tobie. Autre scène biblique : Judith présentant la tête d’Holopherne, un général du roi Nabuchodonosor, qu’elle vient de décapiter dans sa tente à l’issue d’un banquet bien arrosé. Ou encore Jahel, autre héroïne juive, qui tue Sisara, un autre oppresseur de son peuple, à l’aide d’un pieu et d’un marteau. Cette dernière œuvre semble reproduire fidèlement une œuvre de Claude Vignon (1593-1670), reproduite par deux graveurs célèbres, Gilles Rousselet et Abraham Bosse, pour illustrer un ouvrage de Pierre Le Moyne, « La Galerie des Femmes Fortes » paru à Paris en 1647. Ces scènes religieuses, ainsi diffusées par plusieurs gravures, étaient largement utilisées par les artistes de l’époque. (photos 8, 9 et 10)

Autre thématique des fresques de Maillé, la nature, évoquant la vie des champs, dans la campagne entourant le château, et en particulier une superbe scène de moisson, avec la seigneur et son fils admirant le travail des faucheurs.

Quatre peintures sur lambris sont sans doute plus tardives. Ce sont des médaillons dans lesquels figurent des petites scènes paysagères comme un départ à la chasse sur fond de ruines ou le spectacle d’un port.

Bien d’autres œuvres d’art ont disparu, et Cambry, en particulier, décrit dans son « Catalogue » cinq tableaux enlevés du château sous la Révolution. Deux d’entre eux, représentant des combats, lui semblent être de Parocel. Il signale aussi un tableau mythologique de l’école de Boucher, un autre tableau figurant deux amours forgeant des armes, copie du Corrège, et un portrait de chanoine…

 

Trois siècles d’infortune…

Maurice de Carman, le constructeur du château, meurt en 1572 et les décennies suivantes sont une suite de malheurs pour sa famille. Son fils aîné, Louis de Carman est tué à Rennes en 1590, sans postérité, en même temps que son frère Christophe, dans un duel les opposant à Jacques de Tournemine, marquis de Coatmeur (qui mourra lui-même de ses blessures). La propriété échoit alors à leur sœur Claude de Carman, épouse en 1577 de François de Maillé, seigneur de L’Islette, chevalier de l’Ordre du Roi et Gentilhomme de la Chambre du Roi. D’où le nom actuel du château.

La seigneurie de Carman est érigée en marquisat, et la seigneurie de Seizploué en comté, par lettres patentes du roi Louis XIII en 1612, en faveur de leur fils Charles de Maillé, qui meurt en 1628 d’une maladie contractée au siège de La Rochelle. Son fils aîné Donatien, marquis de Carman, comte de Maillé, est tué en duel en 1652 par Claude, marquis du Chastel. Et la série se poursuit par son fils Charles Sébastien, comte de Maillé, colonel au Régiment de Navarre, tué au siège de Nimègue en 1672, sans postérité. Son frère Henri, héritier de Maillé, vit à Paris et y dilapide sa fortune, ce qui contraint son fils Donatien, criblé de dettes, à vendre le château en 1747.

Pendant toutes ces années, Maillé est inhabité et le château se dégrade. L’aile sud du bâtiment Renaissance, ruinée sans doute en raison d’une fragilité des fondations, doit être démolie en 1775, et l’aile nord, déjà sans toiture, subira le même sort quelques années plus tard.

L’acquéreur de Maillé est Louis Antoine Auguste de Rohan, qui le revend en 1789 à Nicolas René Ameline, comte de Cadeville. Ce dernier restaure le château en faisant probablement abattre les corps de logis en ruine, mais il doit bientôt émigrer. Maillé est saisi. Vendu comme bien national le 14 messidor an 4, il est racheté par ses deux filles mineures Eléonore et Euphrosine Ameline de Cadeville et leur grand-mère maternelle Marie Thérèse Le Livec, épouse de Yves de Châteaufur.

Revendu une nouvelle fois en 1812, Maillé est acquis par le baron Paul Louis Dein, président de la Cour de Rennes. A sa mort en 1831 il est dévolu à son fils Louis Théodore Dein, qui réside à Maillé et qui sera maire de Plounevez-Lochrist de 1854 à 1860, conseiller général, et député du Finistère de 1863 à 1870. Il meurt sans enfant et le domaine est démantelé en faveur de ses neveux et petits-neveux, le manoir revenant à Thérèse Dein, dame du Plessix, qui fait couper tous les arbres du parc.

 

Et un siècle de restaurations

En 1900, Maillé est à nouveau revendu et acquis par le baron Hugues Nielly, futur inspecteur des Enfants Assistés à Paris, qui fait reboiser les abords du château. Il sera maire de Plounevez-Lochrist de 1919 à son décès en 1925. Son fils Jacques Nielly revend Maillé, en 1929, au vice-amiral Alfred Richard, fils de l’une des héritières de Louis Dein. Commandant des forces navales françaises en Extrême-Orient en 1938, Alfred Richard se retire à Maillé en août 1940. Il restaure le château, et continue à réaménager et à reboiser le parc. Il décède accidentellement en 1942, laissant Maillé en indivision à ses cinq filles, dont Elizabeth qui rachète en 1975 les parts de ses sœurs et qui continue avec son époux Michel Danguy des Déserts la mise en valeur de la propriété.

Je voudrais saluer ici l’énergie incroyable de Michel des Déserts qui n’a jamais cessé d’œuvrer pour la sauvegarde de ce qu’il considère comme étant un superbe élément de notre patrimoine commun, avec un désintéressement remarquable. Et, qui malgré son âge, continue à veiller de près sur Maillé, aux côtés de son fils qui poursuit l’œuvre paternelle.

 

Bibliographie

Christel DOUARD et coll., Châteaux du Haut-Léon, Images du Patrimoine n°34, Rennes, Inventaire Général, 1987

Gwyn MEIRION-JONES, Michael JONES, « Maillé en Plounevez-Lochrist », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, tome XC, 2012, p. 655-692

TORCHET Hervé, Réformation des fouages de 1426. Diocèse ou évêché de Léon, Paris, Ed. de la Pérenne, 2010.

KERNEVEZ Patrick, MORVAN Frédéric, « Généalogie des Hervé de Léon (vers 1180-1363) », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, tome CXXXI, 2002, p. 279-312Jean Yves LE GOFF, Châteaux et Manoirs du canton de Plouescat (en préparation)

Merci à notre ami Michel Le Vaillant pour ses remarques judicieuses et ses corrections.

 

Maire de Lesneven de 2001 à 2014, Jean-Yves Le Goff est médecin-pédiatre mais aussi historien local, trésorier de l’association des Amis du musée du Léon et secrétaire de la Société finistérienne d’histoire et d’archéologie. Il est l’auteur de 14 ouvrages sur l’histoire et le patrimoine du Finistère avec notamment “Le pays Pagan” (1994) et “Châteaux et manoirs du Léon” (2010).

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